On abat la carte jeune
Soucieuse d’une relève qui tarde à venir, la Fédération met le paquet sur la formation et revoit à la baisse son aide aux moins jeunes.
UN JOUR, PEUT-ÊTRE, se souviendra-t-on avec nostalgie de cette époque où des mousquetaires tout-terrain étaient capables de truster les places du top 10, à l’exception des quatre premières. Laissons quand même à Tsonga, Gasquet, Simon et Monfils encore quatre à cinq ans avant de procéder à l’inventaire d’une génération dorée qui ne peut pas prétendre avoir tout optimisé. Et laissons-nous tous ces longs mois pour savourer les épisodes souvent palpitants du feuilleton de la bande des quatre.
Car les surlendemains qui s’annoncent risquent d’être compliqués dans un pays pourtant loué pour son maillage territorial et son sens de la détection. À quelques encablures de notre quatuor de choc, voilà Chardy, Mannarino, Rufin et Paire qui évoluent dans un entre-deux loin d’être consolidé. Puis, encore hors de vue, arrivent nos juniors inconnus au bataillon des meilleurs de leur génération. Les concernant, on peut penser qu’ils n’ont pas encore atteint leur potentiel et qu’ils sont toujours en construction. Reste que le discours selon lequel « il n’est pas si important que ça de gagner chez les jeunes » et qu’il vaut mieux « s’aguerrir rapidement chez les pros » a pu faire des dégâts. « Car si on n’a pas de résultats, on n’existe pas, constate Patrice Dominguez, l’ex-DTN. Quand on gagne, on se donne plus de chances et ça donne un socle de confiance quand on revient où on a brillé étant jeune. »
Sachant d’où partent nos jeunes et étant établi qu’il faut désormais en moyenne 4,7 années à un junior de 18 ans pour intégrer le top 100 (s’il y arrive), il est clair qu’il fallait d’urgence se saisir du problème à bras-le-corps pour éviter le trou générationnel en s’épargnant de revivre chez les garçons le traumatisme de la super bof génération des filles laissées un temps en jachère.
« La commande de la DTN est claire : il faut faire un effort important sur la formation. On ne peut pas dire que la préoccupation n’existe pas », indique Éric Winogradsky, l’ancien coach de Tsonga promu en soutien des groupes Espoirs du CNE à Roland-Garros en lien avec l’INSEP de Vincennes, où cohabitent les meilleurs des 16-18 ans. Une première dans un rôle charnière de coordonnateur, qui en dit beaucoup sur la priorité désormais exercée sur la tranche d’âge des 16-22 ans, et des efforts à mener sur une période primordiale qui avait peut-être été sous-estimée après l’adaptation express des Monfils, Gasquet et autres.
« C’est une réflexion qu’on a eue sur le passage charnière entre les juniors et les seniors, détaille Arnaud Di Pasquale, responsable du haut niveau à la FFT et instigateur du projet. Il fallait voir si des verrous existaient en plaçant un coordinateur d’expérience. Quand le jeune arrive au CNE, il débarque à Roland, quoi ! Quand il se lève, il a la vue sur le Central... C’est un autre monde, une étape délicate. C’est aussi pour ça qu’à la rentrée, on a organisé cette année une journée avec les parents afin de créer du lien. » Clairement, en choisissant de bichonner les jeunes (ils seront deux par groupe) et de leur adjoindre des préparateurs physiques confirmés, la Fédération change ses priorités.
Fini les largesses
élitistes
Dans un contexte budgétaire chahuté par les lourds travaux de rénovation de Roland-Garros et le prize-money des tournois du Grand Chelem qui grossit avec les revendications des joueurs, il fallait faire un choix. « Rajeunir et rafraîchir » fut celui de Arnaud Di Pasquale. Fini l’assistanat permanent d’un bout à l’autre de la chaîne qui empêchait l’émergence de « l’esprit champion ». Fini les largesses élitistes symbolisées par la bourse Monfils (200 000 € par an) désormais coupée. Fini les entraîneurs détachés à titre gracieux. Passé vingt-cinq ans, le joueur assumera pleinement son projet, juste aidé par ce qui s’appelle un « accompagnement fédéral » plus ou moins relevé selon le classement (environ 30 000 € à l’année pour un top 100, un peu plus pour un top 50).
Gilles Simon, le seul de notre big 4 à être resté 100 % fédéral, ne payait jusqu’alors qu’un modeste pourcentage de son prize-money annuel pour les services de son coach Thierry Tulasne. Son aide ne couvrira maintenant qu’une toute petite partie du coût d’un entraîneur détaché. S’il a pu arguer qu’il participait du rayonnement du tennis français à l’extérieur, le joueur a dû faire contre mauvaise fortune bon cœur. « Je le sentais arriver, c’est une nouvelle politique, dit-il. Ça fait évidemment une différence financière. Mais ce n’est pas ça qui va me rendre plus indépendant. J’ai vingt-huit ans, c’est déjà mon entreprise, mon fonctionnement. J’ai la structure que j’ai choisie, qui n’est pas par défaut. Disons que c’est plus pour les suivants que ça va jouer... » En espérant qu’ils arrivent, comme lui, très haut au classement.
FRANCK RAMELLA (avec J. Re.)