Gasquet le marathonien
Il a fallu 3 h 20’ au Français pour venir à bout de Verdasco au terme d’un match haletant et laborieux. Inquiétant pour la suite ?
AVEC DE LA TERRE plein les bottes, le Gasquet combatif et laborieux a inauguré sa saison « extérieure » sur terre battue sous le soleil. Il lui aurait coûté, à tous points de vue, de perdre le deuxième marathon de sa quinzaine, après les quatre heures quarante-huit minutes à courir, en vain, derrière un Youzhny alternatif pour le compte de la Coupe Davis. Heureusement pour lui, le Biterrois a, cette fois-ci, fini par dompter un Espagnol cyclothymique, tout à la fois capable de passer trois jeux à déborder l’adversaire dans les grandes largeurs et de cumuler les bourdes les plus épatantes. Hier, « el Loco » (le fou) a parfaitement récité sa partition. Merci « Nando » ! Lors des deux premières manches, Fernando Verdasco (38e) a servi à chaque fois à 5-4 pour le gain du set en s’effritant piteusement. Dans le troisième set, il a mené 2-0, 40-0 avant de relancer le Français en toute beauté. « Là, il peut s’en vouloir, confessera Gasquet. Il doit m’enfoncer, je n’étais pas bien du tout… » Mais, dans le mélodrame poussiéreux et très inégal de ce premier tour, il était écrit que l’irrationnel vaincrait. Que la prime ne sourirait pas au plus audacieux. Et que le réalisme du Français finirait par renverser le cours du match.
Jeu stérile ou héroïque ? Le débat reste entier autour du cas du leader français, qui pourrait regretter cette victoire à la Pyrrhus, mangeuse d’énergie. Irrémédiablement trop loin de sa ligne de fond, à court d’idées offensives, il a su contrer, faute de mieux, un joueur n’ayant gagné qu’un match depuis Indian Wells. « Mais j’ai joué assez long, se défendra-t-il. Je peux seulement m’en vouloir au service, où je n’étais pas dans le rythme. Verdasco a l’un des meilleurs coups droits du monde et ce n’est vraiment pas facile de prendre la balle au sommet du rebond… » Soit. Ceux qui espéraient retrouver la flamboyance du numéro 1 français depuis la campagne timorée de Moscou n’auront entrevu qu’un zeste de volupté à la fin de la première manche. De quelques revers à la Zorro et de coups droits enfin hardis, le Français avait alors usé de son génie pour renverser la tendance.
Mais, rapidement délaissé par ses facilités, il sut surtout utiliser sa science de la bravoure pour s’éreinter victorieusement à la besogne. Finir, après deux cents minutes d’une harassante joute terrienne, plus léger qu’un Espagnol bodybuildé, n’est-ce pas déjà l’assurance d’un physique tranquillisant ? Il n’était pas si aisé de se remettre dans le coup après avoir laissé échapper – une fois grossièrement sur une double faute – cinq balles de matches dans le tie-break du deuxième set. Il n’était pas plus simple pour lui d’oublier les errements du bourbier russe. D’ailleurs, même Youzhny a eu du mal s’en remettre, battu hier par Lee Hyung-taik. « La Coupe Davis lui a tout pompé », précisait hier l’entraîneur Boris Sopkin après la défaite de son poulain. Rien d’illogique à ce que Gasquet, ankylosé par les soucis post-défaite, souffre des mêmes maux après une semaine difficile à vivre.
L’orteil douloureux – il a joué ici en double avec des chaussures non sponsorisées mais plus confortables – ne lui a pas permis de reprendre l’entraînement avant vendredi dernier. Mentalement, il a apparemment souffert des critiques à son encontre et des interventions du pompier Guy Forget revendiquant son envie de venir seconder son leader en panne d’inspiration : « Beaucoup de choses déplaisantes ont été dites. Ça m’a fait du mal. Je n’ai pas mérité d’être traité comme le bouc émissaire après une défaite de cinq heures de jeu en Coupe Davis… » Entamé physiquement et moralement, Gasquet estimait même « à 50% » ses chances de venir en Principauté.
Plus qu’une victoire incertaine au niveau du contenu, il préférait donc voir dans ce succès arraché « un bonus » intéressant avant de tester le jeu à plat de Dominik Hrbaty en fin de programme aujourd’hui. « Je dis que c’est bien de gagner un match quand on ne joue pas bien, synthétisait son entraîneur Éric Deblicker. Tout ce qui s’est passé la semaine dernière a été dur à encaisser. Il était crispé, pas relâché, et il a su se bagarrer avec humilité. Je lui tire mon chapeau de gagner dans ces conditions… » Refusant de se lancer dans le débat autour d’un artiste frustrant qui perd une énergie folle à déjouer, le coach préférait calmer les impatiences de tous bords. Le coup droit timoré ? « Une question de jeu de jambes, tout simplement. Quand il se contracte, Richard ne bouge plus et ne joue qu’avec le bras. Mais, aujourd’hui, j’en ai vu des beaux ! » La panne de brillance depuis le début de la saison ? « Tennistiquement, mentalement, physiquement, Richard est capable pour l’instant d’enchaîner quatre semaines par an où rien ne semble pouvoir lui arriver. Pour l’instant, c’est vrai, il n’y a pas encore eu de super semaine. Mais ça viendra ! »
FRANCK RAMELLA